mardi 4 novembre 2008

"Le Piège du Pardon", Traduction

Traduction de l'article de Barbara Rogers en Anglais: "The Trap of Forgiveness".

Une Liste des Traductions du site d'Alice Miller récapitule les documents de son site web traduits dans d'autres langues mais non disponibles sur son site web et quelques articles non référencés sur son site web.

"Le piège du pardon

Mardi 1er mars 2005
de Barbara Rogers, auteur de « Screams from Childhood »

Article original "The Trap of Forgiveness" en anglais, sur le site http://www.alice-miller.com, traduction en Français par Delphine Jejcic, traduction non vérifiée par Alice Miller ou son équipe.

Les enfants se doivent d’honorer et de pardonner leurs parents et la discipline est le maître mot de l’éducation. Pourquoi concevons-nous ainsi la relation parent enfant, une relation si essentielle pourtant? A savoir, les uns détiennent le pouvoir physique, émotionnel et mental ainsi que la responsabilité d’accompagner des enfants malléables et innocents en jouant le rôle de modèle. Les autres sont dépendants, vulnérables, n’ont aucun pouvoir et sont à la merci de leurs parents.

Ces rôles prédéfinis des parents et des enfants décrivent bien comment le pouvoir est utilisé. Pour que les enfants obéissent et soient loyaux, les parents sont autorisés et même encouragés à faire preuve de tout ce qui ressemble de près ou de loin à la discipline. Ce qui est donc transmis aux enfants comme une punition leur apprend que le pouvoir peut s’exercer sous forme de violence et de dégradation, que ce sont des comportements acceptables lorsqu’ils viennent de ceux qui détiennent le pouvoir. L’enfant impuissant ne jouit pas de droits humains.

Nous apprenons à nos enfants à ne jamais attaquer et blesser les autres. Comment pouvons-nous être des modèles sérieux si nous ne respectons pas les droits de nos enfants et surtout leur droit à l’intégrité physique ? Il existe assurément des parents qui considèrent leurs enfants avec respect, bienveillance et qui sont toujours prêts à donner des conseils avisés. Toutefois, deux tiers des Américains cautionnent la punition corporelle et plus de vingt états l’autorisent dans leurs écoles. La société assiste dans le silence à la souffrance des enfants mal traités. Les enfants ne sont protégés par aucune loi. Puis plus tard, lorsqu’ils essaient de faire face aux conséquences de ce qui leur est arrivé, souvent grâce à des thérapies, nous demandons à ces enfants mal traités de pardonner, du moins dans une certaine mesure.

L’idée selon laquelle il faut honorer les parents engendre un mécanisme destructif qui se prolonge à l’âge adulte : manquer de respect aux enfants, ne pas considérer leur dignité, leur humanité et les droits humains. Ce que ressent l’enfant qui subit un comportement abusif de la part de ses parents est soit ignoré, soit considéré par les parents comme irréel, irrespectueux, impardonnable, comme la preuve d’une insoumission ou d’une rébellion.

Mais ce mécanisme bloque les sentiments de l’enfant, l’empêche de comprendre les problèmes qu’il rencontre, de se connaître et d’appréhender son passé. Ce mécanisme est nourri par l’idée selon laquelle ceux qui détiennent le pouvoir illimité ont le droit de punir, d’humilier, de dénigrer et d’ignorer les sentiments et la douleur de l’enfant. Mais également par la conviction que les parents méritent toujours d’être honorés et pardonnés, que l’on peut pardonner le déni de la vérité et le mépris des sentiments de l’enfant. Même si aucun parent n’a demandé à son enfant de le pardonner, ou n’a essayé de le/la comprendre, on glorifie le pardon pour guérir la colère et la haine et on le considère comme un moyen d’atteindre la paix intérieure. J’ai trouvé la paix intérieure en me pardonnant à moi-même et surtout en prenant de la distance vis-à-vis de mes parents et de leurs convictions. Chaque pas que j’ai fait m’a rapproché de mon vrai Moi.

Colère, haine ou douleur sont jugés comme néfastes uniquement lorsqu’ils apparaissent chez les enfants mal traités ou lorsque plus tard, ils essaient de surmonter les conséquences de ces abus grâce à la thérapie. Pour les adultes, le mot « discipline » peut cacher et excuser les comportements les plus empreints de revanche et les plus cruels, un vrai euphémisme.

Pendant mon enfance, ma mère ressentait toujours de la souffrance et de l’amertume. Ses crises de colère incontrôlées me terrifiaient, moi et mes frères et sœurs. Elle n’éprouvait aucune indulgence envers ses enfants. Les principes éducatifs ne prônaient pas l’indulgence envers les enfants, au contraire, ils insistaient sur l’importance de la discipline. Elle pensait qu’elle était en droit de nous punir et de nous persécuter et cela lui donnait la liberté d’extérioriser sur nous tout ce qu’elle combattait en elle-même. J’ai eu besoin d’années de thérapie pour comprendre que ses actes et ses croyances étaient abusifs et cruels, que je n’étais pas coupable, que je n’étais pas le monstre diabolique qu’elle décrivait. A l’âge adulte, lorsque j’ai fini par avoir la force intérieure et le pouvoir d’agir ainsi, j’ai compris que j’avais le droit de construire des barrières pour éviter d’être blessée à nouveau par sa froideur, son manque de compassion et sa sévérité cruelle.

Ces années de thérapie m’ont fait prendre conscience que chaque être humain ressent différents sentiments, selon ce qu’il se passe dans sa vie, ou ce qui peut ressurgir du passé. Ces sentiments sont le fondement de notre capacité à être en vie et participent au ressenti de soi. Je vis depuis des années loin de ma mère, au sens propre ( géographique) comme au sens figuré puisque je n’ai plus de contacts avec elle. On m’a souvent conseillé de lui pardonner. Mais ce qui me permet d’être honnête envers moi-même, c’est de rester éloignée de ma mère pour me protéger d’elle, de sa satisfaction personnelle entêtée, de son apitoiement perpétuel sur son sort, de son manque de volonté total de me comprendre et de comprendre les épreuves que j’ai affrontées, et enfin pour me protéger du fait qu’elle veuille que je renie l’inceste qui a eu lieu entre mon père et moi. Cela me permet d’être intensément libre dans mes sentiments et dans mes pensées. Je n’ai plus besoin de les réfréner pour elle.

Si l’on met de côté l’idée de pardon, je ne suis pas quelq’un embourbée dans la colère ou la haine. Quand de tels sentiments font surface, ce qui est rare, je vérifie si cela renvoie à une expérience douloureuse de mon enfance, et si cela s’avère nécessaire, j’écris pour le comprendre avec compassion. Puis je me pardonne d’avoir tant souffert sans avoir eu le courage d’intervenir, de me défendre, de changer ma vie et mes relations. Enfin, je rattache cela à mon présent, ce qui en résulte, j’ai désormais le choix, je peux vivre différemment, je peux me défendre et je dois préserver mon bien-être.

Se pardonner à soi-même est une étape cruciale, c’est une excellente solution thérapeutique. C’est ce genre de pardon que je recommanderais aux enfants mal traités qui suivent en ce moment des thérapies pour surmonter leurs traumatismes passés.

Un acte, et tout particulièrement un acte à sens unique ou le fait de pardonner à un parent ne guérit pas des traumatismes et des mécanismes destructeurs du passé de l’enfant. Au contraire, cela les repoussent loin dans l’inconscient avec l’ordre non dit mais pourtant explicite : « reste ici, conduis-toi bien ou recommence à saigner, tout ceci est du passé, c’est derrière moi, je ne t’écouterai pas. » Il ne demande pas aux parents ou à la société de faire face à la responsabilité de celui qui est à l’origine des maltraitances et de reconnaître les conséquences de ces actes.

Ainsi, la réalité et la vérité du comportement abusif est caché par le pardon et peut refaire surface d’une façon plus tragique et plus destructive contre la prochaine génération.

Quand le passé et la souffrance de l’enfant peut être reconnu, débattu et partagé, quand un parent peut exprimer de la compassion, de la compréhension, du regret et peut accepter sa responsabilité, alors le pardon se fera naturellement sans même être exigé. Mais nombreux sont ceux qui pensent que le concept du pardon s’adresse aux parents impardonnables, ceux qui n’ont pas l’intention de considérer le mal qu’ils ont fait, qui ne s’en excusent pas sincèrement, ne le regrettent ou n’essaient pas de ressentir de l’empathie et de la compassion pour leur enfant. C’est ainsi que le pardon devient un lien invisible et secret qui continue de relier la victime à son bourreau. Il réduit au silence les voix des victimes et la vérité au travers des recommandations, ou même de l’exigence du pardon. C’est ce que j’appelle le piège du pardon.

Le piège du pardon nous fait croire que c’est fini une fois que nous avons reconnu ce qui est à l’origine du mal et ce qui nous a transformé pendant l’enfance. Nous ne cherchons plus à prendre conscience de ce mal et à le comprendre, non seulement pour nous-mêmes mais également pour ne pas adopter de comportement abusif, blessant ou méchant à l’égard de nos propres enfants.

On demande à la victime de pardonner pour mettre fin aux sentiments de douleur, de colère, de protestation et de haine, comme si pardonner allait résoudre les problèmes rencontrés pendant une enfance douloureuse. Ce type de pardon signifie le reniement de mes sentiments, mes pensées et ma capacité à vivre. Cela serait le déni de mon vrai Moi. Cela mettrait fin à mon désir le plus profond d’être moi-même. Ce n’est seulement en étant à l’écoute de mes sentiments propres, de mes souvenirs tout au long de ma vie que je peux être honnête envers moi-même et apprendre de ce ressenti.

Je connais d’une part des personnes qui s’enlisent dans la colère, la haine, la souffrance et l’apitoiement sur leur propre sort, la jalousie et les autres d’autre part.

Ils n’ont pas besoin du pardon pour surmonter des situations difficiles mais d’une thérapie éclairante. Ils n’ont, le plus souvent, pas conscience que ces sentiments obsessionnels et accablants sont déclenchés par des expériences douloureuses ou traumatisantes durant l’enfance.


Lors de mon « périple » thérapeutique, avec différents praticiens, différents types de thérapie, beaucoup d’écriture sur mes propres sentiments de colère, de tristesse, d’indignation ou de haine, j’ai eu besoin de temps pour refaire surface et pour être reconnue. Une fois compris et acceptés, ils se sont amoindris et ont laissé place à la paix intérieure. Ces sentiments révèlent le souvenir d’une enfance douloureuse, puis deviennent tout simplement des faits.

L’idée du pardon est souvent chargée de concepts vagues et d’une énergie religieuse dogmatique. Il a pour but de faire ressentir de la culpabilité chez l’être humain mal traité. Il exploite et se nourrit du sentiment ancestral de la culpabilité accumulée pendant l’enfance. Il autorise une forme passée et bien connue du contrôle de nos sentiments et l’on doit continuer de ressentir ce besoin du pardon à l’âge adulte et lors de la thérapie. Cela nous empêche de devenir des adultes libres et investis qui peuvent donner leur version de la vérité, prendre soin d’eux-mêmes et de leurs besoins réels. Tous les autres délits passent devant la justice, sont poursuivis et punis.

Mais les délits commis par les parents sur leurs enfants sont traités dans le secret et la honte, sont enfouis en conseillant le pardon et ne font jamais l’objet de poursuites devant les tribunaux. Pardonner les actes nés de la revanche est humain et fait sens, mais cela devient un piège dès lors que différents niveaux de culpabilités destructrices à l’égard des parents empêchent la création de frontières saines et protectrices qui soignent le Moi et nourrissent le bien-être. Alors que l’on ne cesse de recommander aux enfants mal traités de pardonner, il n’en est jamais question pour les parents. Le mot discipline règne en maître dans les conseils d’éducation donnés aux parents, cela englobe donner la fessée, une correction, être le bouc émissaire et tous les comportements humiliants. Ces pratiques sont dégradantes, inhumaines et seraient souvent assimilées à de la torture si elles étaient administrées à un adulte. Que se passerait-il si nous insistions sur la fait que l’on puisse pardonner et comprendre les enfants et plus seulement leur exiger le pardon ? Les enfants n’auraient plus besoin de pardonner la maltraitance parce qu’ils auraient eux-mêmes ressenti la compassion, le pardon et l’amour plutôt que d’avoir appris l’impossibilité de pardonner, l’inhumanité dans la forme impitoyable et haineuse du comportement parental.

Pourquoi n’apprend-t-on pas aux parents à pardonner et n’attendons-nous pas cela d’eux ? Les enfants doivent pouvoir faire des erreurs et apprendre de celles-ci. Ils ont besoin d’être guidés avec compassion et compréhension de façon humaine et significative, sans violence et sans dégradation.Ainsi ils éprouvent l'amour et deviennent autorisés à construire leur vie et à créer un monde qui n'est pas dominé par la violence."

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